Accroupie au sol, les longs vêtements de la jeune shaman s’étalaient sur le sol marécageux sans que cela ne semble l’en soucier. Pourtant, c’était une belle parure d’or et de vert pâle sur un fond de blanc. Toujours assez aérée comme tenue, il restait néanmoins la longue cape avec le bas qui subissait la majorité des dégâts poreux de ce sol. Le remarquait-elle ? Probablement pas, Vitäé était trop occupé à couper des mèches de plantes qui surgissaient de la surface boueuse si elle n’était plus plutôt en train de creuser à la recherche de quelques pousses ou insectes, peut-être ? Qui sait ce que vous trouvez dans les potions des shamans… En tout cas, ce n’est pas dans des endroits très rassurants qu’elle va les chercher, quoique cela puisse être. Des arbres morts, des aires de vases, de boues, des odeurs infectes, des plantes pour la plus part mortes, des bruits peu avenants.. si ce n’était le silence total, comme celui qui entourait à l’heure actuelle Vitäé.

Oh, cela ne l’inquiétait pas trop. Elle avait tellement l’habitude de venir ici qu’elle connaissait très probablement le marécage dans ses moindres recoins, et par cœur. On ne pouvait pas dire que sa vie sociable était très développée alors.. quand elle n’était pas dans son antre, c’était à ce genre d’activité qu’elle s’exerçait. Maintenant, cela faisait une heure et demie qu’elle était partie pour le marécage. Aucun signe de fatigue ne se lisait dans son regard. Au contraire, il était calme et impassible, peut-être froid même. Ses paupières clignaient à peine de temps en temps, laissant bien le rouge de ses yeux se dévoiler. Quel regard glaçant.. peu supporte le rouge de son regard. La preuve, un coup d’œil net arrête le moindre animal qui viendrait vers elle. Quelle méchante petite.. furette (?)

Se soulevant avec – presque majesté – élégance, et dans un grand mouvement pour rejeter sa cape en arrière, elle glissa ce qu’elle venait de trouver dans une besace brune accrochée à sa ceinture. A ce qu’il paraissait on dirait des sortes de.. petites pousses jaunes aux racines pareilles à des toiles d’araignées. Ça ne semblait pas très appétissant mais disons le clairement : il y avait pire. On aurait pu s’attendre à des choses plus… dégoûtantes. Au moins, Vitäé avoir fini – même si son visage ne reflétait pas le moindre signe de satisfaction. Non, il était toujours aussi net, imprécis et froid. Un peu comme le temps. Il y avait du soleil et aucun nuage au dessus d’eux, mais c’était un soleil froid, comme un jour d’hiver. En clair, il ne faisait pas chaud et une pâle lueur venait accentuer la blancheur de la peau de la shaman. Dans cet atmosphère, elle ferait figure d’un véritable fantôme déambulant – hantant – le marécage.

Mais à la réalité : elle allait juste rentrer chez elle ! Tournant ses pas, elle entama son retour d’une démarche résolue et assurée. Vitäé se déplaçait avec une aisance incroyable. Ses pas se posaient sans hésitation exactement où il fallait, elle semblait connaître tous les pièges du marécage à éviter si on ne veut pas se retrouver dans les eaux vaseuses de ce terrain – eau qui, n’en voyant pas le fond, n’est pas très clair quand à ce qu’elle contient. Vitäé s’était déjà penchée, voire entrée un peu dans l’eau, pour trouver certaines choses, mais même elle évitait d’aller plus loin. Légende, mythe ou simplement peur et dégoût ? En tout cas, on évitait les étangs poreux des marécages.

Alors qu’elle se souvenait de là fois où elle avait failli retomber dans un des étangs – regard toujours fixe devant elle – un bruit soudent déchira le silence, comme celui d’un objet assez lourd tombé dans l’eau. La jeune femme fit volte fasse d’un seul mouvement, sa cape virevoltant sous la violence du geste, ses yeux devenus aussi durs que des rubis. Elle n’avait pas de petits réflexes en tout cas.

Un long moment de silence s’écoula tandis que Vitäé restait comme figée. Non mais c’était qui ça ? Pas qu’elle soit quelqu’une de très présomptueuse mais.. voilà, elle avait toujours dégagée une certaine classe, et surtout, un certain dédain pour les autres. Celui dont la tête émergeait à peine de l’eau devait être bien un bestiaire mais bon sang qu’est-ce qu’il fichait dans l’eau ? Et puis bon sang, qu’est-ce que c’était que cette tête d’ahuri ? Donc, oui, en clair, Vitäé restait complètement… pantoise devant cet être qu’il y avait devant elle, pantoise et froide. Son visage reflétait une pâle lueur blanche armé du rouge sans de ses rubis de yeux. Elle reflétait une parfaite beauté de glace et de ténèbres également – quelque part. Allait-elle prendre la peine de lui répondre ? D’abord, elle en douta fortement. La supériorité chez elle était.. un penchant très sporadique mais là, face à cet être ahuri et au bégaiement prononcé, ça n’allait pas rater.

D’un mouvement de désinvolture parfaite sans que son visage n’ait bougé d’un petit millimètre, la belle bestiaire allait s’en aller, quand soudain, elle s’arrêta nette dans son geste alors que ses yeux venaient de tomber sur le merveilleux paysage du marécage. Non, quand même, elle n’allait pas le laisser là ? Alors, laissant échapper un long et lourd soupir, elle se re-retourna complètement vers ce mystérieux.. jeune homme.. créature.. bête.. Bestiaire. Pas que tous les bestiaires étaient aussi étranges mais bon, celui-là valait le coup d’œil – ne put s’empêcher de penser Vitäé alors que l’un de ses sourcils se soulevaient de suspicion.

-Bon et d’où venez-vous ? finit-t-elle par lâcher brutalement et froidement.

Ce n’est pas qu’elle avait que ça à faire non plus, et sans savoir d’où il vient, comment espérait-il qu’elle puisse l’aider à rentrer ? Franchement, elle allait vraiment l’aider ? Elle n’y croyait pas du tout, du tout. Passant sa main sur son visage comme dans un signe de désespoir, tel une personne qui n’arrive pas à croire ce qu’elle va faire, elle abaissa dans le même geste son visage avant de le relever dans une mimique qui avait perdu toute froideur mais qui reflétait désormais une fatigue lasse. Elle arrivait pas à le croire. Non, non, non.. Mais se reprenant, vu que de toute manière, elle n’allait pas passer son temps à revenir sur ses choix, elle le désigna – lui ainsi que l’eau autour.

-Vous savez, vous ne devriez pas rester là dedans. Non pas que je ne préconise pas les bains mais cette eau-à n’est pas faite pour qu’on s’y baigne : à moins que vous vouliez être un nouveau cobaye au service des découvertes de la science.

Et ce n’était même pas une question. Si son visage s’était adouci, il n’en était strictement rien de sa voix. Toujours froide et dure, elle avait pourtant néanmoins quelque peu réfléchie pour se nimber de petites touches de douceurs arrachées à sa gorge. Quand il le fallait, il le fallait hein. Alors, prenant comme une grandes respiration, la furette s’approcha du bord de l’eau d’un pas assuré malgré le terrain qui pouvait se trouver être relativement glissant ou instable. Prenant appuis sur cette terre spongieuse avec grâce et aisance, elle tendit finalement la main à cet étrange.. bestiaire. Oui, décidément, elle n’en démordait pas. Mais bon, il valait déjà mieux dire ‘étrange’ que ‘dégradant’ ou encore inférieur, hein ?

-Allez, venez. Je ne veux pas être responsable des maladies que vous attraperez. Et si vous en attrapez, ce n’est certainement pas moi qui viendrez vous soigner après vous avoir mis en garde.

Simple référence au fait qu’elle était shaman. Et énorme référence au fait qu’elle ne l’aidait pas de bon cœur. Mais bon, Vitäé était Vitäé : elle pouvait pester contre tout le monde, elle pouvait critiquer tout le monde, elle ne pouvait quand même abandonner quelqu’un sans l’aider. Au fond, elle avait.. un bon fond, genre.. tout au fond, au fond.

Désespérément désespérée. Voilà ce que reflétait les yeux de Vitäé. Non mais quel âge avait-il ? Et d’où elle venait cette manie de parler comme ça ? On ne pouvait pas être si timide quand même. En tout cas, la shaman le croyait et ses beaux yeux de cristal rouge flamboyaient de découragement. Qu’allait-elle bien pouvoir tirer de cet enfant ? Enfin.. tirer, façon de parler, elle n’en attendait rien. Mais s’il fallait à chaque fois qu’elle passe par autant de bégaiement pour avoir une réponse, ils étaient mal partis. Mais respirant un bon coup, elle fit un effort – très visible – pour remanier son visage et avoir l’air un peu plus avenante. Elle méchante ? Nooon, pas-du-tout.

-Je m’appelle Vitäé Firaï, concéda-t-elle uniquement car l’instant suivant elle s’était de nouveau tu.

Décidément, on en apprenait tous les jours. Pour se nourrir il allait chasser dans les marécages ? Ohlalala.. Bon, ok, elle aussi allait récolter des trucs dans les marécages. Mais elle, c’était différent. Tout ce qu’elle y cherchait été traité et la composition passait par des potions, tout était fait pour qu’il n’y a pas… d’indigestion. Mais en dehors de cela, ce que l’on pouvait trouver dans les marécages ne devaient pas être très sain.. Oh non. Et surtout pas à manger. Soupirant à nouveau avec une exaspération bien plus marquée cette fois, la jeune femme se demanda bien où son éducation avait été faite là.. Ok, leur peuple était apparenté à des animaux mais là quand même ça frisait le… sauvage. Oui, le sauvage. Et comme si cela avait été un éclair d’illumination dans ses pensées, un calme et une douceur bien plus certaine apparurent dans ses yeux.

-Si tu as faim, on arrangera cela. Toutefois, ne chasse pas dans les marécages. Tout ce qu’on peut y trouver n’est pas sain pour les êtres comme nous. Surtout pas ce qui passe par ces étangs, acheva-t-elle en posant un regard méfiant sur les lesdits nommés.

La suite ne la surprit pas plus. Il survivait seul depuis cinq ans ? Hum.. seul voulait très sûrement dire dans la nature sauvage. Ou quelque chose comme ça. Mais qu’est-ce qui avait bien pu le pousser à finir par une vie pareille ? Bon, elle voulait bien croire que ce genre de vie puisse être trépidante mais étrangement.. il ne lui paraissait pas de loin que cela avait pu lui faire du bien. Les règles sanitaires de base lui étaient inconnus, il avait un caractère enfantin décalé de la société actuelle et en plus de cela, il n’arrivait même pas à terminer une phrase ni à prononcer le huitième d’une sans bégayer. Mais qu’est-ce qui avait bien pu lui arriver. Et alors qu’elle réfléchissait toujours autant, il lui prit subitement la main sans qu’elle ne s’y attende. Figée d’horreur, elle le regarda faire, complètement interdite. Comme si on lui avait lancé un sort de stupeur, c’est avec une lenteur affolante qu’elle reprit sa main avant de revenir brusquement à la réalité et de l’essuyer avec force contre un pan de son vêtement. Non mais : il ne fallait pas exagérer non plus !

-Bon, reprit-elle avec une voix plus ferme, accompagnant à merveille l’expression de son visage du même ordre. Entre nous, même si tu dis ne pas avoir besoin d’aide, tu m’en as demandé il y a quelques minutes. Donc en attendant que tu ne résous ce dilemme profond, tu ne m’as toujours pas dis où tu voulais que je te ramène. Et il me sera dur de t’aider à retrouver ton chemin tant que tu ne m’auras pas déjà indiqué ça.

S’il y arrivait un jour. Avec son bégaiement… ils en avaient pour l’éternité là. Au moins, elle avait remis sur la tapis le fait de l’aider, preuve qu’elle n’avait pas décidé de partir sans rien faire. Ou alors était-ce pour s’en débarrasser le plus rapidement ? Non. Vitäé était loin d’être la cordialité parfaite mais elle avait bon fond. Elle minaudera contre les gens jusqu’au bout de les avoir aider, elle n’arrêtera pas avant. Et celui-là au fond.. attiré sa confiance. Ainsi une nouvelle fois et – espérons le pour de bon – la jeune femme reprit une teinte plus douce et même tendre cette fois (tout en maintenant désormais une certaines distance de sécurité entre eux).

-D’où viens-tu ?

D’une nature relativement toujours calme, Vitäé ne s’emportait pas non plus dans les émotions, même quand les gens en face d’elle avait cette manie. C’était peut-être le pire avec elle : avoir quelqu’un de si je m’en foutisme, à la fois calme et terrible, car si elle ne s’emporte pas : entre ses airs supérieurs, de prétentions, d’agacement et de condescendances, il y a de quoi faire ! Mais là, LA, Vitäé resta sous le choc de la surprise quand elle vit ce ce… gamin s’emporter brusquement. Cesser de bégayer et tout et tout. C’est pourquoi, complètement figée de stupeur comme elle était, Vitäé ne put encore moins amorcer un début de défense contre sa subite attaque.

Elle n’eut même pas le temps de faire le moindre autre semblant d’expression qu’elle était déjà projetée on ne sait où. Pourtant, dans ce laps de temps si bref, si quelqu’un avait pu avoir une vision si.. précise, il aurait pu voir l’incompréhension et la béatitude les plus plus complètes sur le visage de la shaman. Si forte et si imprégnée qu’elle ne bougea d’un gramme quand brusquement sa course s’arrêta dans un arbre. Un cri s’arrachant à ses lèvres, autant par la douleur que par la surprise, ses yeux se fermèrent et puis.. tout le temps lui resta incomplet. Oh elle n’avait pas sombré dans l’inconscience en tout cas. Car à peine tout stabilisait qu’elle ouvrait déjà à nouveau les yeux.

Sur le dos, les yeux s’épanouissant face au ciel, Vitäé n’en revenait toujours pas. Non mais qu’est-ce qui lui avait pris ? Ce garçon avait vraiment un problème ! Schizophrénie peut-être ? Ou alors il masque très bien son jeu. Elle ne savait pas quoi en penser et pourtant ! des cas bizarres, elle en avait vus plus qu’’il ne pouvait imaginer. En tout cas, un début de réponse s’amorça la seconde suivante. Voilà qu’il s’excusait maintenant. Génial. Bon alors, qu’est-ce qu’elle faisait : elle lui foutait un bon coup dans la tronche ou elle jouait la gentille maman ? Poussant un soupir de lassitude, toujours couchée, cela eut pour effet de soulever quelques mèches de cheveux qui étaient venus se poser sur son visage lors de la chute. Ses habits devaient être tout encrasser maintenant ! Remarque, une chance qu’elle n’ait pas atterrie dans une marre.. et une chance aussi qu’il soit dans un marécage : les arbres n’étaient pas très solides ! pensa-t-elle en jetant un coup d’œil à celui qu’elle venait de détruire. Ou plutôt qu’il venait de détruire ! Sacrée force..

Alors que la jeune femme commençait enfin à se soulever quelque peu, le brusque changement de comportement du gamin la remit par terre en instant. Désespoir, il était désespéré. Entre agressivité, petit joyeux et grand sensible culpabilisant : il avait de quoi faire ! Mais tout ça était quand même très intéressant. Vitäé se demandait bien de quelle histoire, fait ou autre lui venait cette.. étrange personnalité. En tout cas, elle comprenait qu’il vive sûrement reclus. Une chance qu’elle soit.. à sa manière, assez étrange elle aussi. En tout cas, elle n’eut aucun mouvement de peur ou de recul quand il s’approcha à nouveau d’elle.

Toujours allongée, Vitäé arborait un étrange comportement. Mais bon : pourquoi bouger tant qu’on ne savait pas ce qui serait fait ensuite. En tout cas, elle ne paraissait ni énervée ni agressive contre.. son agresseur. Au contraire, la situation.. la rendait presque nouvellement aimable et gentille envers cet être qui avait bien failli la faire.. mourir d’écrasement !

-Non. J’en ai vu pire, déclara-t-elle sur le ton de l’humour en roulant des yeux.

Bien, les choses commençaient à se calmer. Pourvu que ça dure. Toutefois, Vitäé avait quand même assez peur de quoi faire maintenant. Car, comment éviter que la partie agressive ne ressorte et ne la massacre à nouveau ? Après tout, elle n’allait quand même pas s’en prendre à un gamin. Finalement… elle opta pour une tactique en douceur et, sincère.

-Cela t’arrive souvent les sautes d’humeur comme ça ? Je dois avouer que c’était peu commun. Quand j’ai envi de faire pareille chez moi, je viens justement dans les marécages. Sauf aujourd’hui.. aujourd’hui, c’était pour une recherche.

Voilà, parler d’un peu tout et rien. Parfait. C’était toujours bien pour faire connaissance. A voir comment il réagirait. Dans tous les cas ça continuerait à l’aider pour savoir comment s’y prendre. En attendant, il fallait qu’elle essaye d’en apprendre plus sur lui. Et pas de manière frontale. Non. Elle avait assez vu ce que les questions directes créaient.

-Tu viens souvent ici ? Dans les marécages, je veux dire. Je ne t’y avais encore jamais vu alors que c’est un lieu que je côtoie souvent lorsque je cherche des ingrédients pour mes potions. Je suis shaman.