« MERDE ! »

Embourbée jusqu’aux genoux, notre jeune Dragonnière était en prise avec un ennemi qu’elle n’aurait jamais soupçonné si tenace : Les marécages. Elle pataugeait, trébuchait et avançait tant bien que mal tandis que sa Dragonne, voletant au dessus d’elle, répugnait à se poser. Elle avait mit pied à terre dans le but de se dégourdir les jambes ankylosées par de nombreuses heures de vol mais à l’évidence, elle n’avait pas choisi le meilleur endroit du coin. Son arrivée dans le Royaume des Bestiaires n’en était que pire, et si elle s’était écoutée elle aurait illico fait demi-tour. Mais l’image de son père subsistait.

« Loulou ! Ne vient pas m’aider surtout, je ne suis absolument pas en difficulté comme tu peux le constater ! »

La Dragonne grogna un peu et resta en altitude encore quelques minutes avant de daigner amorcer une descente. Elle savait que la petite chose qui lui servait de cavalière pouvait très bien s’en sortir toute seule, ainsi, elle n’avait pas tellement envie d’approcher cette boue putride. Et puis, se poser était impossible : Avec son poids, elle s’enfoncerai inévitablement et toutes deux couraient alors à la catastrophe. Elle s’approcha cependant, et d’un geste aussi délicat que possible saisi la jeune femme dans sa gueule et l’arracha au sol pour aller la déposer un peu plus loin au pied d’un arbre, là où la terre était plus stable.

« J’en ai assez de cet endroit, je veux rentrer. »

Felena, avachie sur le sol, tentait de nettoyer un peu ses vêtements de cuir, sans grand succès cependant. Elle poussa un long soupir et regarda sa compagne qui la fixai intensément de ses yeux d’émeraudes.

« Je sais ce que tu pense : J’ai pris ma décision, j’aurai du réfléchir avant, je savais que je ne trouverai aucun plaisir à me trouver ici, blablabla… Je sais, je sais. Mais vois-tu je suis perdue, je n’ai aucun idée de notre destination. Je ne sais même pas où trouver le dirigeant Bestiaire… »

Elle replia ses genoux sous son menton et regarda le paysage d’un air las.

« Je me déplace, je cherche un but, mais je ne sais même pas ce qu’on attend de moi. C’est quand même frustrant, non ? »

Elle aurai juré que Lou-Meha avait hoché la tête.

Le ciel grisâtre et l’atmosphère pesant n’arrangeait pas son humeur de chien. Avec un peu de chance, elle allait croiser un Bestiaire et sa haine reprendrai le dessus. Vraiment, ce n’était pas une bonne idée. Elle devait repartir au plus vite, faire ce qu’elle avait à faire et rentrer en terre connue avant d’avoir des problèmes. La reconnaîtra-t-on ici ? Elle n’en savait rien, mais elle se doutait que sa réputation, voir peut-être même son visage, avait largement eu le temps de faire le tour des Royaumes à la mort de son père. On en avait beaucoup parlé, beaucoup plus qu’elle ne l’avait voulu.
La peur au ventre. Celle qui vous ronge, celle qui vous retourne les entrailles.

Elle se redressa, sauta sur ses pieds. Mais, avant d’avoir le temps de dire le moindre mot, un mouvement attira son attention à sa gauche. Elle tourna la tête et vit, avec un petit sursaut d’effroi, un énorme alligator traîner sa lourde carcasse en sa direction. Sans attendre elle attrapa son arc attaché sur la selle de sa Dragonne en ordonnant à celle-ci de ne point bouger. Quelques secondes lui suffirent à ajuster son tir et la bête mourut, une flèche dans le flanc, une autre entre les deux yeux.

« Tu as faim ? »

Bien sûr qu’elle avait faim. 25 mètres de Dragon, ça se nourrit.
Alors, pendant que Lou-Meha commençait à savourer son festin, la jeune femme se laissa retomber assise au sol et attendit le moment de pouvoir repartir.

Les marécages. Ces lieux humides où peut d'êtres intelligents s'aventuraient. L'on y trouvait presque que de la faune agressive et féroce. Un lieu peu commode, peu fréquenté. Tout ce qui convenait le plus à l'elfe pour s'isoler et méditer un peu sur les évènements récents... A savoir la rencontre avec ces deux bestiaires oiseau qui ont tout déclenché. Puis son retour aux sources où il a rencontré Fy. Puis son bref passage où il a fait la connaissance d'Anubela. Puis les multiples rencontres à la fête des moissons. Puis... Maintenant. Tout était allé si vite, et Tinyndel avait décidé de ne plus se montrer pendant un certain temps et s'exiler là où personne ne pourrait le trouver. Logiquement. Le soleil arrivait à son zénith. Mais l'épais feuillage environnant ne laissait passer que peu de lumière. Tout cela résultait en un décor des plus sinistres qui ôtait rapidement le moral à quiconque avait eu la folie de s'y aventurer seul. Mais l'elfe y était, fort heureusement, habitué. Parfois il lui arrivait de se poser sur une branche et de se laisser plonger dans des réflexions. Parfois il lui arrivait de faire des acrobaties pour garder la forme. Du haut de son arbre, il regardait les reptiles immerger de temps à autre comme pour croquer dans le vide. Ils ne se rendaient pas compte de la distance qui les séparaient de l'elfe. Celui-ci les regardait en plissant le front, se demandant si ces bestioles étaient dotés d'une quelconque intelligence. Mais sa réflexion fut interrompue par un évènement lointain, que l'ouïe de l'elfe perçut sans mal. Il s'agissait d'une voix féminine qui se plaignait. Elle semblait s'adresser à un compagnon qui, lui, ne répondait pas. Mais qui ? L'elfe partit lentement en direction de ces bruits, sautant de branche en branche, se mouvant avec une facilité déconcertante au-dessus de ces sols peu commodes. Il avait beau se rapprocher de ce lieu, il n'arrivait toujours pas à déterminer la nature de cette seconde présence. Il avala sa salive ; peut-être était-ce une espèce que jamais il n'eut appréhendée auparavant. Serait-ce...?

Il continuait d'approcher. Parfois il n'entendait plus rien, parfois il entendait cette voix féminine plaintive... Et très enfantine. Il s'imagina premièrement une fille gâtée, très jeune, qui était accompagnée d'un autre individu fort musclé mais incapable de parler. Peut-être un muet ? Non. Sinon, il l'aurait senti. La nature était claire à ce sujet. Mais pourquoi cette présence ne lui disait rien ? Le cœur de l'elfe était battant. Son acuité allait lui faire défaut pour la première fois. Il perçut au loin un reptile fort imposant émerger lentement de cette eau opaque et boueuse pour atteindre la terre ferme. Cette bête semblait se diriger à grande vitesse vers le bruit. L'elfe accéléra sa course, légèrement paniqué de ne pas maîtriser la situation. Pourquoi ? Pourquoi la nature était silencieuse ? Le cœur de l'elfe battait encore plus. Il ne voyait plus la bête. Il accéléra sa course, diminuant peu à peu son altitude pour rejoindre progressivement le sol qui était encore boueux. Il marcha à grandes enjambées jusqu'à un sol plus praticable, et aperçut la bête, une flèche plantée dans le flanc, une autre au beau milieu des yeux. La précision du tireur coupait le souffle de l'elfe. Jamais il n'eut été aussi précis en quatre-vingt années. Sa gêne grandissait peu à peu. Alors il avança progressivement, une main sur son pommeau...

Il fit face à une jeune fille aux cheveux d'un rouge éclatant et d'un visage reflétant une belle jeunesse. L'elfe ne put s'empêcher de plisser le front. Elle vait des yeux verts émeraude perçants, affichant un magnifique regard de braise, comme assorti à sa chevelure. Elle paraissait des plus fragiles, mais l'elfe ne se leurra point lorsqu'il l'a vit avec son arc en main. Mais la présence à ses côtés le détourna littéralement de cette charmante demoiselle... Il aperçut, en premier lieu, une longue rangée d'écailles blanches comme la neige, sur un corps long, très long... On aurait dit un gigantesque serpent. Un serpent qui avait des ailes. Donc qui n'était pas un serpent. Des ailes tout autant impressionnantes et d'un bleu aussi intense que ses propres yeux. L'elfe réalisa enfin : c'était une dragonnière. Probablement la cheffe de ceux-ci. Car avec le recul, il se souvenait de cette voix, vaguement, à la fête des moissons. Et ce dragon... Nul doute, c'était lui qui empêchait toute communication de la nature avec l'elfe. Sa présence et son esprit surpassaient de loin ceux de la faune et la flore locale. C'était pour ça que les reptiles ressentaient de la peur ; chose anormale quand on a le sang froid. Il ôta la garde de son pommeau, comprenant qu'il ferait mieux de n'opposer aucune résistance. Ainsi son heure était venue, probablement dans l'estomac de cet énorme reptile qui inversait la tendance et qui laissait l'elfe livré à lui-même. Il se laissa saisir par la longue queue du dragon, désormais pris au piège par la constriction du reptile blanc, le ramenant lentement à lui, devant sa gueule, le fixant de ses yeux, eux aussi verts pomme, bien plus perçants que sa maîtresse. L'elfe ferma les yeux, pensant enfin que son heure était venue, et se mit à sourire. Comme sa doctrine le souhaitait... Après tout, "s'il perd le combat et s'il est obligé de livrer sa tête (…) il mourra en souriant, sans aucune vile allure".

Le large reptile baignait dans son sang poisseux, fixant le ciel gris de son regard vide. Elle l’avait appelé « la bête », c’était un crocodile, en fait. Quelle laideur ! Et quel goût… Putride. Comme ce lieu, comme ces odeurs, cette impression. Quelque chose qui dérange et met mal à l’aise. Les os se broyaient facilement mais le cuir de la bête rendait le tout bien difficile à mâcher. Et le goût : Atroce. Elle recula et jeta un rapide coup d’œil à sa maîtresse pour ensuite aller s’abreuver dans un trou d’eau proche, histoire de se débarrasser de l’ignoble goût de sa proie. C’était peut-être une once de culpabilité après tout, elle avait cette impression de manger un de ses semblables… Pas si semblable que ça, en fait, mais tout de même. Elle avait faim mais ne pouvait plus manger, et pourtant elle dépassait de bien loin le sommet même de la chaîne alimentaire : C’était injuste.
Elle repoussa le cadavre de museau pour le faire glisser dans les marais et le regarda s’enfoncer doucement dans la boue infecte. Une pensée à Dame Nature et elle avait déjà tourné sa large tête vers sa douce. Cette dernière paraissait fort contrariée –pauvre petite chose- et elle paraissait sur le point de se cogner la tête contre un arbre. La Dragonne Blanche découvrit ses dents gigantesques dans un rire muet : Cette gamine gueulai haut et fort tout ce qui lui passait par la tête, et pourtant elle était intérieurement effondrée. Et seule. Krow Sery était partit depuis deux mois déjà et obtenir réparation auprès du peuple Bestiaire semblait difficile. Elle avait voulu essayer : Elle y arriverai.
La Dragonne se glissa vers sa petite maîtresse et frotta sa joue contre la sienne.

Ne t’en fait pas, petite femme, nous allons y arriver.

Elle se redressa soudain : Quelqu’un les observait.

La suite ne fut qu’un long geste : Elle se leva d’un mouvement fluide et ondula doucement vers l’inconnu qui les observait non loin de là tandis que Felena s’était redressée d’un bond, son arc toujours en main. La Dragonne s’arrêta et huma l’air –un mélange de feuilles et saveurs fruitées, de vent et d’eau, de froid et de chaleur-. Elle braqua ses yeux sur lui, les plantant comme deux poignards dans sa poitrine, et le détailla. Il était grand et fin, élancé comme une brindille qu’un seul un coup de vent aurait pu courber. Frêle. Elle savait que ce n’était pas le cas. Elle regardai ses oreilles pointues et une mélodie de satisfaction flottait dans sa tête. Elle secoua un peu le museau, laissant la joie l’envahir entièrement.
Lui, il ne bougeait pas, complètement immobile il attendait, un air serin sur le visage. Et pourtant, pourtant, elle sentait flotter dans l’air l’aura puante de la peur. Elle ne voulait pas qu’il ait peur, il n’apportait que la joie. Ainsi elle déploya lentement ses larges anneaux, l’enroulant, le capturant sans possibilité de fuite. Elle voulait sentir encore un peu plus cette assurance et surtout cette Nature qui lui procurait tant de joie. C’était pour elle un retour aux sources et elle resserrai la prise sans se douter un instant qu’elle pourrait l’étouffer. La Nature est toute puissante. Elle adorait les Elfes.
Et elle était heureuse, tellement heureuse…

« Qu’il est dangereux de vagabonder seul en ces lieux, Seigneur Elfe. Que faites-vous ici ? »

Elle avait gardé un goût amer dans la bouche de cet homme seul, ce menteur si inquiétant. Pourtant, c’était elle qui était en territoire ennemi, mais elle ne se laisserai pas marcher sur les pieds. Ça, jamais.
L’Elfe qui lui faisait face était grand et élancé. Il possédait un corps parfaitement sculpté mais ce qui intriguait le plus la jeune femme, c’était ses cheveux : Flottant derrière lui, ils étaient d’un blanc translucide. Etrange couleur que celle-ci, quoique pas moins agréable au regard. Elle plissa les yeux en observant le manège de sa compagne.

« Lou si tu l’aime bien il faut le laisser respirer. »

La Dragonne relâcha immédiatement sa prise mais continua à lui tourner autour.

« Je suis enchantée de rencontrer un Elfe pour la première fois de ma vie. Et pour elle apparemment, c’est une expérience plaisante qui se renouvelle. »

Elle esquissa un sourire en fixant le nouvel arrivant.

L'étreinte se resserrait. Alors il allait mourir étouffé, strangulé. Nul être ne pouvait se dresser face au destin. Son sourire s'effaça lentement, grimaçant à cause de la douleur de ne plus pouvoir humer d'air. Mais l'elfe ne ressentait, bizarrement, aucune haine émanant de la majestueuse dragonne. Tout cela paraissait, pour le moins, ironique. Sa vie allait s'arrêter sous peu, et pourtant il ne ressentait nul danger. Serait-ce possible que...?

« Qu’il est dangereux de vagabonder seul en ces lieux, Seigneur Elfe. Que faites-vous ici ? »

L'elfe ouvrit les yeux, plantant son regard meurtri dans celui de Felena, ouvrant la bouche comme pour émettre un son, mais il commençait à manquer d'air. Puis il fixa la dragonne, qui affichait un air réjoui. Était-ce finalement parce que les elfes étaient appétissants ? Sans nul doute, pensait l'elfe. Il ferma de nouveau les yeux, pensa à toutes les rencontres qu'il avait pu faire, laissant s'échapper un "désolé" étouffé et susurré pour ceux et celles qui n'aurait pu recroiser.

« Lou si tu l’aime bien il faut le laisser respirer. »

* Hein ?! *

La constriction se défit, Tinyndel tomba légèrement sur le sol, aspirant à grandes bouffées l'air humide des lieux, à quatre pattes, littéralement essoufflé comme s'il avait couru deux kilomètres sans s'arrêter. Alors c'était finalement ça : la dragonne, qu'il n'avait pu déchiffrer, semblait elle aussi de son côté, comme chaque élément naturel. Il n'en revint pas, posant lentement son front sur le sol comme prosterné et reconnaissant de vivre une telle expérience et de rencontrer un être tout aussi splendide. Les battements de son cœur mêlaient l'adrénaline à l’essoufflement. C'en était presque déconcertant pour l'elfe qui était connu, du peu d'individus qu'il avait rencontrés, pour son calme légendaire. Or, là, il l'avait perdu en quelques secondes. Il entendait la dragonne tourner autour. Elle finit par le saisir par le col pour le redresser à quelques centimètres du sol et le lâcher. Tinyndel retomba sur ses pieds, regardant d'un air émerveillé le reptile géant. Son visage retrouvait lentement son expression froide, ses lèvres fines n'affichaient ni sourire, ni air mécontent... Mais son regard était emplit de compassion ; il pleurait presque. Il sentit alors la dragonne se frotter à sa joue. Il ne put que fermer les yeux, caressant lentement le museau de celle-ci. Certes, il était froid. Mais la nature et lui étaient en symbiose. Il savoura cet instant, prenant le temps de cerner la complexité de cet être si fort mais non mois doux et aimant... Rien de plus surprenant. Il esquissa un faible sourire.

« Je suis enchantée de rencontrer un Elfe pour la première fois de ma vie. Et pour elle apparemment, c’est une expérience plaisante qui se renouvelle. »

Il y eut un silence. L'elfe ouvrit de nouveau les yeux, regardant la jeune demoiselle aux cheveux rouges éclatants et aux yeux verts. Il lui fit face, et hocha respectueusement la tête. S'en suivit une profonde courbure pour exprimer sa gratitude d'avoir été non seulement épargné, mais aussi d'avoir fait la connaissance d'une nouvelle espèce. Il se redressa.

« Non... Tout le plaisir m'appartient pour l'heure. Vous n'êtes pas la première humaine que je rencontre de mon vécu, mais vous êtes la première humaine qui fasse preuve d'autant de respect pour un elfe. Non seulement vous employez les formalités, mais vous daignez m'accorder le titre de seigneur. J'apprécie la considération que vous apportez à mon peuple, malheureusement l'elfe que je suis n'a rien d'un seigneur. Je ne suis qu'un vagabond qui a pour seule amie la nature... Je m'appelle... »

Il n'eut le temps de saisir sa phrase qu'il fut de nouveau saisit et enveloppé par le corps longiligne de la dragonne qui ne put s'empêcher de frotter son museau contre la tête de Tinyndel. Ce dernier plissa les yeux. C'était peu agréable mais comprenait parfaitement que ce brave reptile lui exprimait son bonheur. Elle le souleva pour le déposer un peu plus proche de Felena, pour un face à face plus digne de ce nom.

« Tinyndel Séregon. Laissez-moi être votre hôte. Je ne peux que vous proposer de vous guider, vous ayant entendue de loin. Vous semblez perdues, votre amie et vous. »

Il paraissait vraiment étonné, cet Elfe, de ne pas avoir été dévoré tout cru par la grande Dame Blanche. Il s’était lourdement laissé tomber au sol afin de reprendre son souffle et avait presque embrassé la terre humide de reconnaissance. La Dragonnière ne s’en rendait pas bien compte, elle qui côtoyait sa compagne chaque jour : Pourtant, il était vrai qu’une approche un peu trop brusque avec une telle créature avait de quoi vous secouer. La Dragonne en question, si calme et si douce habituellement, ne tenait plus en place. Elle se tortillait de droite à gauche, puis tourna encore un peu autour de cette nouvelle curiosité en le dévorant des yeux pour enfin le saisir par le col et le remettre sur pieds. Elle bougeait doucement la tête, toute fière qu’elle était, tandis que l’Elfe lui caressait distraitement le museau.

Regarde, regarde ! Tu vois, c’est la symbiose. Un mélange parfait ! La nature, la nature ! Regarde, approche toi, tu sens ? Tu le sens ? Cette odeur de fleurs, de miel et d’herbes coupées. Tu vois les Elfes, ils ne sont pas arrogants comme les Humains, pas agressifs comme les Bestiaires et pas susceptibles comme les Nains. C’est… tu vois… Oh Felena tu es mon Elfe à moi car tu es tellement différente de ces brutes. Mais là c’est autre chose, cette présence, ce regard. Que cherche-t-il ? Demande lui je voudrais savoir ! Demande-lui, et explique-lui ce que tu cherches.

Le regard de la Dragonne pesait lourdement sur celui de sa compagne et se faisait de plus en plus insistant. Mais avant que la jeune femme ait pu ouvrir la bouche, l’Elfe prit la parole :

« Non... Tout le plaisir m'appartient pour l'heure. Vous n'êtes pas la première humaine que je rencontre de mon vécu, mais vous êtes la première humaine qui fasse preuve d'autant de respect pour un elfe. Non seulement vous employez les formalités, mais vous daignez m'accorder le titre de seigneur. J'apprécie la considération que vous apportez à mon peuple, malheureusement l'elfe que je suis n'a rien d'un seigneur. Je ne suis qu'un vagabond qui a pour seule amie la nature... Je m'appelle... Tinyndel Séregon. Laissez-moi être votre hôte. Je ne peux que vous proposer de vous guider, vous ayant entendue de loin. Vous semblez perdues, votre amie et vous. »

L’Elfe était maintenant tout juste face à lui après une énième intervention de la Dragonne, à qui elle fit de gros yeux. Quelle idée, elle ne le connaissait pas après tout, et même si il dégageait cette douce impression de tranquillité, elle ne savait pas ce qu’il avait derrière la tête. Elle répondit cependant avec le sourire :

« Eh bien, Tinyndel, je suis ravie de faire votre rencontre en ce lieu des plus hostiles, et pour moi inconnu. Je me nomme… »

Elle hésita. Elle divulguait rarement sa véritable identité, autant par recherche de tranquillité que par crainte des nombreuses personnes rendues agressives par sa proclamation hâtive en tant que Chef de clan. Elle ouvrit la bouche prête à répondre « Evalore Sowan » -identité qu’elle utilisait souvent- mais changea d’avis au dernier moment.

« … Felena. Felena Sery. Dragonnière. Quant au respect… Sans son absence peut-être n’en serions-nous pas là. Cette guerre… »

Elle soupira.

« Je suis en mission personnelle et je vous avoue qu’un peu d’aide serait éventuellement la bienvenue. C’est la première fois que je mets les pieds ici et j’ai, dirons-nous, des relations extrêmement tendues avec le peuple Bestiaire habitant ces contrées. »

Le mot « tendues » était bien faible. Elle haïssait purement et simplement ce peuple, et celui-ci le lui rendait bien. Ce n’était qu’une haine réciproque. Il fallait qu’elle récupère sa fierté, que les coupables du meurtre soient punis. Et pourtant, poser ne serait-ce qu’un orteil sur ce territoire la rendait malade.
Tâchons de faire bonne figure.

« Pourriez-vous par hasard m’indiquer le lieu où je pourrait rencontrer le Chef du peuple Bestiaire ? »

« Je suis en mission personnelle et je vous avoue qu’un peu d’aide serait éventuellement la bienvenue. C’est la première fois que je mets les pieds ici et j’ai, dirons-nous, des relations extrêmement tendues avec le peuple Bestiaire habitant ces contrées. »

L'elfe détourna le regard un instant, essayant également d'éviter celui de la dragonne. Il porta un index à son menton, pensif, se demandant si tout cela n'était pas, au fond, quelque tentative d'ingénierie sociale à son encontre : elle était humaine, respectueuse, l'avait épargné et, par-dessus tout, avait probablement révélé le fond de sa pensée, avait fait preuve d'honnêteté, simplement. C'était bien la première fois qu'on lui faisait aveuglément confiance. Il fut surpris par la brave créature blanche qui le toisait d'un regard si aimable et si innocent, retroussant ses babines et affichant une belle rangée de dents. C'en était presque un grand sourire humain. Ce spectacle fit sourire l'elfe à son tour, mais seulement des yeux. Il avait en effet beaucoup de mal à exercer ses zygomatiques de la sorte. Il fit de nouveau face à cette humaine qui affirmait répondre au doux nom de Felena Sery.

« Pourriez-vous par hasard m’indiquer le lieu où je pourrait rencontrer le Chef du peuple Bestiaire ? »

« Ainsi je rencontre la représentante même du titre dragonnier. Dame Sery, il n'y a rien de plus admirable, je pense, de vouloir faire preuve d'autant de diplomatie, à savoir obtenir quelque audience avec l'incontestable autorité qui règne sur ces contrées - si je ne m'abuse, dame Firaï. Les faits sont là, la guerre est réelle, des innocents meurent... Enfin, inutile de radoter, vous en êtes consciente. Je vais vous accompagner à travers ce royaume. Les plaines ne sont pas à côté... Mais ! A moins que vous ne souhaitiez pas de ma présence durant vos déambulations pleines de détours à n'en savoir où aller. »

Il questionna également du regard la dragonne, qui semblait un peu plus agitée que d'habitude. Tinyndel la regarda en fronçant les sourcils, mêlant à son expression faciale un air d'incompréhension et de frustration de ne pas connaître les besoins et désirs de cette charmante créature. Était-elle motivée pour que l'elfe les suive ? Essayait-elle de dire à Felena de faire attention ? Hélas, pour Tinyndel, cette espèce n'était juste qu'alors connue que théoriquement. Et peut-être qu'il lui serait impossible de communiquer avec un dragon, même en se basant sur des ressentis. Il croisa les bras, regardant tour à tour Felena puis sa monture. Puis il eut l'idée de s'éloigner si jamais elles désiraient s'entretenir personnellement.

« Dame Sery, la seule chose que je suis capable de comprendre, c'est que vous entretenez une relation forte avec votre amie. Prenez le temps d'y réfléchir. Parce que vous n'y serez pas de si tôt et vous n'êtes pas à quelques instants prêts... »

Sur ces mots, il s'éloigna quelque peu, enjambant le corps de la dragonne qu'elle avait enroulé pour se tasser dans un espace réduit. Il en profita pour arracher de la mousse végétale sur le sol et se boucher les oreilles, par respect pour la dragonnière et son éternelle complice, et prit soin de s'éloigner suffisamment pour escalader un arbre, de préférence, grand, ce qui l'éloignerait aussi bien en hauteur de Felena. Il s'allongea sur une branche suffisamment large pour le supporter, et se mit à fermer les yeux, les mains derrière la tête, réfléchissant de son côté à tout ce que cela pourrait impliquer et lui coûter...